Ce livre ressemble fort à une autobiographie, mais ce n’en est pas une. Il ne s’agit pas plus d’un texte engagé visant à vous convaincre de déscolariser vos enfants, même si la richesse des apprentissages exposés ressemble parfois à un franc plaidoyer pour le unschooling.
Non, ainsi que l’indique l’auteur en préambule à son texte, il s’agit bien d’un témoignage. André Stern y livre les secrets de son enfance heureuse, et les détails de son instruction en famille, en illustrant ses propos de diverses anecdotes familiales et personnelles. Il nous explique pourquoi et comment, sans être jamais allé à l’école, il a vécu une enfance très heureuse, qui lui a permis de devenir un adulte connu et reconnu, fort érudit, endossant plusieurs professions (journaliste, auteur, luthier, conférencier, etc). Il expose ainsi que, contrairement à ce qui est fréquemment avancé par les critiques de l’Instruction en Famille, un enfant dont les parents font ce choix n’est pas forcément promis à un échec certain, ni voué à devenir « un sauvage illettré, végétatif, asocial et isolé ».
Soulignons enfin que, s’il décrit dans ce livre une expérience très personnelle, et qui n’est pas forcément représentative de la majorité des familles en IEF (notamment de par l’aisance financière et les nombreuses connaissances de ses parents, dans le cadre de leur vie parisienne), André Stern n’en oublie pas moins de souligner que ce mode d’instruction permet précisément d’offrir aux enfants non scolarisés dans le système classique une voie où « la multiplicité et l’individualité des intérêts et des manières d’apprendre » sont permises, et même favorisées.
Il ressort clairement de ce livre qu’André Stern enfant puis adolescent a énormément travaillé. Il raconte comment son esprit passionné et curieux, méticuleux et rigoureux, n’avait de cesse de chercher des informations, et de les synthétiser avec des illustrations qu’il réalisait lui-même – il rapporte ainsi avoir créé de toutes pièces et en autonomie totale de nombreux pamphlets, mini journaux, descriptifs détaillés d’objets ou de machines, etc.
Son IEF était assurément particulièrement studieuse, et très créative, ainsi que totalement basée sur les principes des apprentissages autonomes. Le jeune André allait vers ce qui lui plaisait, ce qui éveillait des étincelles en son cœur et son âme.
Ses parents, à mille lieux de guider ou d’entraver leur garçon, ne lésinaient pas sur les moyens mis à la disposition du jeune André pour lui permettre d’assouvir ses passions. Ainsi, il bénéficia toute son enfance de nombreux cours particuliers, ou d’inscription à des cours collectifs, ce que l’on appelle aujourd’hui les activités périscolaires – danse, guitare, etc. Par ailleurs, à sa propre initiative ou avec un coup de pouce de ses parents, André parvint à plusieurs reprises à intégrer dans le plus grand privilège des ateliers d’artistes professionnels, qui, à l’instar de sa phrase devenue aujourd’hui célèbre, ne lui apprenaient rien, mais lui montraient tout. Il en fut ainsi, par exemple, pour ses apprentissages de la dinanderie ou de la photographie.
L’importance du jeu
André témoigne avoir eu des semaines bien chargées, entre les activités organisées et/ou structurées, les cours, les événements imprévus, et parfois même des séances en auditeur libre au Collège de France, en compagnie de sa mère. Il indique néanmoins qu’à côté de tout cela régnait une grande place pour l’improvisation et le jeu. Pour lui, apprendre et jouer sont la même chose : deux synonymes que l’on ne peut décemment, intelligemment, pas séparer. L’un ne va pas sans l’autre, tout simplement.
Vous pourrez trouver de plus amples détails sur l’apprentissage par le jeu dans cet article : Apprendre par le jeu – pourquoi, comment ?
L’importance de l’intérêt de l’enfant : apprendre en observant
André Stern insiste à plusieurs reprises dans son ouvrage sur la nécessité, pour qu’il y ait apprentissage, que l’intérêt de l’enfant ait été éveillé, et attisé. Personne ne doit venir entraver ou interrompre le cheminement de l’enfant, ni même formuler une opinion à ce sujet, et encore moins s’en servir comme « moyen de chantage ». Notre seul rôle, à nous parents, est d’accompagner l’enfant dans ses apprentissages, et de mettre à sa disposition tous les moyens pour laisser vivre ses passions.
Chaque centre d’intérêt de l’enfant est décrit par André comme un « îlot dans son cheminement » qui prend plus ou moins d’importance selon le moment, les opportunités que présente la vie, et la puissance de l’intérêt de l’enfant.
L’auteur évoque par exemple son introduction au monde peu connu de la dinanderie – comment sa mère le mena, malgré les réticences premières de l’artisan, dans un atelier utilisant encore cette méthode traditionnelle peu connue (« la dinanderie est l’art de façonner le métal en le battant, non en le soudant »). Guy, l’artisan, se laissa rapidement prendre au jeu de la démonstration/transmission du « maître » à « l’élève » (au sens non scolaire des termes), et André rapporte magnifiquement leur échange : Guy « éprouva une joie immense à m’offrir l’ensemble de son métier. Et moi, transformé en éponge, je devins insatiable ».
André Stern indique également avoir appris de nombreux faits et savoir-faire après les avoir observés une unique fois, mais avec un intérêt tellement passionné que son esprit tout entier se consacrait à l’observation des gestes qui lui étaient présentés, et ainsi les absorbaient instantanément pour ne jamais les oublier – contrairement à ce qui est inculqué de force, par cœur, et sans éveiller aucun intérêt chez les petits écoliers.
« Une personne non entravée se transforme naturellement en éponge lorsqu’elle rencontre des informations liées – de près ou de loin – à ce qui la passionne ».
Des apprentissages basés sur le réel : sans intention pédagogique.
L’auteur indique ne jamais avoir utilisé de manuel scolaire – il n’y en avait d’ailleurs aucun chez lui, et ce bien qu’il y ait eu à son domicile une quantité de livres particulièrement impressionnante, et sans cesse renouvelée. André Stern y avait libre accès, et se servait à volonté, cherchant dans ces mannes d’informations les réponses à ses multiples interrogations. Ainsi, il apprenait énormément. Comme beaucoup d’enfants en unschooling qui éprouvent le besoin de déchiffrer ce qui est écrit un peu partout, il apprit à lire seul. Par la suite, il mena ses apprentissages en toute liberté, lisant à sa guise, sans suivre de schéma imposé ni même suggéré par un adulte, mais simplement mû par ses centres d’intérêt et ses interrogations. Son cerveau ainsi prédisposé aux apprentissages, a mémorisé une foule d’informations. En outre, étant plutôt bon dessinateur, il illustrait abondamment ce qu’il avait appris, ce qui lui permettait d’ancrer toutes ces informations dans sa mémoire, sur fond de plaisir et d’autosatisfaction du travail accompli – comment trouver meilleure efficacité ?
« Certains processus d’apprentissage sont intérieurs et restent invisibles ».
Une vie sociale particulièrement riche.
André Stern raconte d’excellents souvenirs d’enfance, au contact notamment de sa sœur et de sa cousine. Il rapporte par ailleurs de superbes et enrichissantes relations avec plusieurs adultes, tous sensibles à sa « constance et [son] entrain », qui les poussaient à offrir à l’enfant le meilleur d’eux-mêmes.
Lorsque l’on est en unschooling, et André Stern et sa famille n’échappaient pas à cette « règle », le quotidien est à la fois riche et simple, il est ouvert, puisque sans entrave liée à un emploi du temps imposé, et laisse par conséquent une large possibilité à l’improvisation, ce qui permet de se rendre disponible pour l’autre, pour celui ou celle qui se présente dans l’univers de la famille unschooling, et va lui apporter un peu de son étincelle personnelle, par le partage de sa passion et des informations ou du savoir-faire qui en découlent.
Enfin, notons qu’André Stern évoque souvent, que ce soit dans son œuvre écrite ou lors de conférences, la nécessité pour l’adulte de faire confiance à l’enfant. Il parle notamment dans cet ouvrage de la « délicatesse naturelle » de l’enfant, qui lui permet, si l’adulte ne l’entrave pas, de découvrir énormément de choses par lui-même. Il cite en exemple à cet égard ses connaissances musicales, nées, explique-t-il, de ses seules observations. Ou bien encore, ces facultés d’écrivain et de journaliste : « on ne m’a jamais expliqué les notions de couverture, de titre, de page de garde ou de quatrième de couverture : la simple observation les a rendues évidentes dès le début ».
Dans ce même registre, il évoque la nécessité pour l’adulte de se libérer des préjugés et autres idées préconçues liés à l’enfance et même à l’adolescence, citant notamment le cas de sa petite sœur de 4 ans qui, alors qu’ils assistaient à un opéra, demanda à changer de place à mi-séance car sa voisine, âgée, et qui avait émis ses réticences à la présence enfantine dans un tel lieu, faisait finalement trop de bruit pour que l’enfant puisse apprécier la musique…
« Il y a autant de manières d’apprendre qu’il y a d’individus »
Allez encore plus loin grâce au livre d’Andre Stern : « …et je ne suis jamais allé à l’école »
Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation